Ce que l’on perd quand tout devient visible

La visibilité continue ne détruit pas frontalement, elle transforme jusqu’à rendre certaines choses inviables.

Être visible est devenu une norme sociale. Ne pas l’être demande désormais une justification. Ce renversement est discret, mais profond.

Ce qui est exposé en permanence cesse d’exister autrement que sous cette forme. La visibilité ne révèle pas, elle remplace.

Supprimer les temps morts

Il existait des moments où rien ne se passait. Des temps morts, des attentes, des silences. Ces intervalles n’étaient pas du vide. Ils étaient des zones de dépôt, des espaces où une pensée pouvait se former sans être immédiatement formulable.

La visibilité permanente comble systématiquement ces vides. Chaque instant peut être documenté, chaque pensée exprimée avant d’avoir pris forme. Sans intervalle, rien ne décante. Les choses s’accumulent sans s’ordonner.

On ne perd pas l’accès à l’information. On perd la possibilité de la laisser reposer.

Mettre tout au même niveau

Quand tout est visible, tout se retrouve au même niveau. L’important et l’anecdotique coexistent dans le même flux. La visibilité ne crée pas de hiérarchie. Elle l’efface.

Ce qui importe n’est plus ce qui a de la valeur, mais ce qui capte le regard. Le discernement ne disparaît pas d’un coup. Il devient secondaire, puis il cesse d’opérer.

Rendre l’absence suspecte

Le retrait perd sa neutralité. Ne pas être présent devient une absence. Ne pas répondre devient un silence signifiant. La visibilité obligatoire rend le retrait suspect.

La liberté ne se mesure pas seulement à ce que l’on peut faire, mais à ce que l’on peut ne pas faire sans conséquence.

Rendre certaines formes impossibles

Certaines formes cessent simplement d’être viables. Non parce qu’elles sont interdites, mais parce que l’environnement ne les permet plus.

Suspension

Rien de tout cela ne manque vraiment.
Ces choses n’ont pas disparu. Elles ont été transformées.
Ce qui ne survit pas à la visibilité permanente ne reviendra pas.